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La démence d'Alzheimer, une maladie de l'imagination ?

Dernière mise à jour : 10 déc. 2020


La démence d'Alzheimer, une maladie de l'imagination ?

Le Dr Jean Maisondieu, psychiatre honoraire des hôpitaux, propose dans un ouvrage initialement paru en 2001 et réédité cette année, "Le crépuscule de la raison - En finir avec l'Alzheimer sans frontières", d'élargir la compréhension du phénomène de la démence en cessant de le limiter à une explication médicale organique, celle des lésions du cerveau.




Or, il nous rappelle que la démence est encore aujourd'hui définie de la manière suivante :


Une détérioration globale, progressive et irréversible des fonctions intellectuelles ; il s'agit donc par définition d'un processus chronique et incurable. De plus les démences reposent en principe sur un substrat lésionnel - Encyclopédie médico-chirurgicale, Brion. S, 1978.

L'auteur voit dans cette définition plus une condamnation qu'un diagnostic, qui a en outre l'inconvénient majeur de concentrer la recherche sur les causes organiques en laissant volontairement de côté des aspects psychologiques majeurs : la confrontation soudaine de l'individu avec l'image de son corps dégradé par l'effet du vieillissement et l'angoisse connexe de sa mort prochaine.


J'ai acquis la conviction du caractère imaginaire de la maladie démentielle. Les déments sont malades de leur imagination : ils ont peur de mourir, leurs symptômes trahissent leur angoisse, ils leur permettent de la contenir.
C'est le refus d'accepter la réalité de notre finitude, de renoncer au désir d'éternité qui est à l'origine du processus démentiel.
Si les déments sont fous, ils sont seulement fous de peur. Ils ont peur de la mort, peur de leur ombre qui leur rappelle la mort. Ils ne veulent pas se voir pour ne pas voir la mort.

Mais la compréhension des enjeux d'image de soi à l'oeuvre que nous présente ici le Dr Jean Maisondieu justifie de s'y arrêter un peu à travers une mise en perspective de la notion d'identité.


Rappelons en effet pour mémoire que le sujet conscient d'exister émerge chez le tout-petit au terme d'un processus qui s'achève avec le stade du miroir.


L'acceptation de cette rupture (entre soi et l'autre) est le préalable indispensable à l'acquisition d'une véritable identité. Elle n'a de netteté suffisante et elle n'est vécue agréablement que lorsque le plaisir d'être soi l'emporte sur la peur d'être seul et la souffrance de la perte de l'autre. Alors peut émerger le sujet. Le comportement joyeux de l'enfant face au miroir où il se découvre est le témoin de cette évolution et de sa réussite ... L'enfant s'admire d'être complet lui qui jusque-là se percevait comme morcelé, c'est alors qu'il accède à l'existence".

Or, pour le Dr Maisondieu, l'origine du processus amenant à la démence se situe à l'exact opposé de la construction identitaire de la petite enfance : au moment où la personne âgée rencontre dans un miroir une image de son corps abîmé par les effets du temps, signes précurseurs de sa mort à venir, elle s'engage parfois dans une forme de dé-construction de son identité.


Le refus de l'insupportable laideur du visage flétri par la vieillesse, c'est peut-être cela la démence, une phobie du miroir poussé à l'extrême. La démence correspondrait alors à une volonté d'effacement de son image.

Mais l'auteur nous livre également une explication des causes de l'effondrement identitaire qui peut avoir lieu à ce moment-là.


L'homme est cet animal dé-naturé qui accède à la culture grâce à sa capacité de symbolisation. Ce monde symbolique le protège de la dure réalité de la loi de la jungle et le soustrait à la proximité immédiate de la mort. La réussite de l'homme à décoder les lois du cosmos en utilisant toutes les ressources de la raison l'a amené à penser que la raison peut tout et que le monde symbolique dans lequel elle triomphe n'est ni plus ni moins que le Monde. Et dans ce système organisé et clos, les choses ont (ou auront) un sens, l'absurde est repoussé et il n'y a plus de mystère, seulement des énigmes à résoudre.
Une exception cependant, et de taille : la mort. Elle se dérobe à la pensée, qui est incapable de la conceptualiser. Horrible comme non-sens absolu, absurde, elle est radicalement subversive car elle signe sans coup férir l'échec d'une raison incapable d'en venir à bout.
Soudain, avec la prise de conscience de sa propre mortalité, il réalise que le monde symbolique dans lequel il a vécu depuis l'enfance et qui lui a apporté jusque-là la conscience d'exister n'est une illusion, un trompe-l'oeil destiné à cacher le néant. Rattrapé par sa finitude et l'absurdité de l'existence, il plonge dans l'inintelligible et peut bien perdre la tête.

Et de conclure que :


Les déments ne sont pas fous, ils savent bien que la mort est victorieuse dans tous les cas et sont hantés par cette vérité.

Aussi, le Dr Maisondieu nous invite-t-il à porter un autre regard sur les déments, en considérant que la perte des capacités cognitives et intellectuelles peut, dans un grand nombre de cas, être la résultante non pas de lésion organique du cerveau mais bien plutôt d'un renoncement volontaire à la pensée.


Tout se passe comme si la perte de l'intelligence devenait nécessaire pour se protéger du désespoir et de la tentation suicidaire qu'une trop grande lucidité serait susceptible d'engendrer.

Comme gestaltiste, j'ai trouvé très intéressant d'envisager ce renoncement aux capacités intellectuelles des déments comme un ajustement, sans doute désespéré, à une situation de fin de vie où chaque être humain est confronté à trois contraintes existentielles majeures qui se combinent souvent : la solitude, la finitude et la quête de sens.


Mais le Dr Maisondieu pose à mon sens également deux questions essentielles :

- A quoi / A qui sert aujourd'hui ce parti qui est pris d'évacuer toute dimension psychologique dans le phénomène de la démence sénile pour ne l'envisager que comme la conséquence d'une maladie organique ?

- Quelle conséquence ce parti pris a-t-il sur la manière dont sont aujourd'hui traités les déments par ceux qui y sont confrontés, aidants & soignants ?


Nous préférons imaginer qu'ils ont perdu la tête ... Il est vrai qu'ils la perdent, mais pas sans raison ... pour refouler ces choses dont on ne doit pas parler.
Il nous est plus facile de considérer les déments comme des insensés disant n'importe quoi que d'essayer de mettre en mots l'indicible de la mort absurde à laquelle ils sont confrontés à leur corps défendant et dont nous ne voulons pas entendre parler bien qu'elle nous concerne autant qu'eux.

Car enfin


Le spectacle du naufrage sénile est difficile à supporter. Il est presque impossible de ne pas penser à soi dans une identification immédiate repoussée - pourvu qu'une telle chose ne m'arrive pas à moi ! Ce double mouvement de reconnaissance de l'autre comme semblable et son rejet comme impossible double parce que trop différent est à la racine du mal démentiel dans sa dimension inter humaine.
Au-delà du refus du dément de se reconnaître dans le miroir, il y a notre désir de n'être pas comme lui qui aggrave la situation tragique dans laquelle il se trouve. Ne voulant rien avoir de commun avec lui, nous le chassons du monde des bien portants en le créditant d'une maladie dégénérative mystérieuse et incurable.

Mais


S'il est licite et raisonnable de ne pas vouloir imiter qui est odieux, traiter odieusement celui auquel nous ne voulons pas ressembler sous prétexte qu'il a perdu la raison est pour le moins méprisable. C'est pourtant l'attitude qu'à notre insu nous adoptons vis-à-vis des supposés déments. Avant de mourir réellement, le vieux est tué symboliquement.

L'auteur poursuit son analyse en expliquant que le papotage stérile, si caractéristique de la démence, est la conséquence d'un fonctionnement névrotique en ce qu'il sert l'évitement.


Le papotage stérile colmate cette angoisse indicible.
Parler de choses superficielles, neutres pour éviter d'évoquer des problèmes trop douloureux, refuser de laisser la pensée s'égarer vers des sujets inquiétants, autant de pratiques banales en elles-mêmes mais qui, poussées à l'extrême, aboutissent à éliminer les mots dangereux, vider les conversations de leur contenu affectif et réduire les phrases à rien. La pensée se corrode, la communication verbale s'éteint ; les mots ne sont plus que des productions sonores à partir desquelles aucun échange n'est plus possible. La démence est installée.

Enfin, le Dr Maisondieu conclut sa réflexion par un appel à notre humanité qui résonne fort je pense chez tout Gestalt-thérapeute, et plus largement chez tout thérapeute de la relation, pour aller enfin vers une autre thérapeutique :


Il faut ouvrir une brèche dans le monopole organiciste et écouter avec le moins d'a priori possible ce qui disent les séniles. Au lieu de ne les voir que comme des objets cassés à mettre au rancart ou de les fuir comme des épouvantails, il faut essayer de les accepter comme des semblables en difficulté. C'est le prix à payer pour qu'ils s'améliorent ou qu'ils guérissent. Changeons de regard, et il changeront de sort.





Et pour aller plus loin, je partage cette vidéo de "Musica para despertar" que je découvre en 2020.



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