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La relation père-fils, une relation doublement triangulaire


La relation père-fils, une relation doublement triangulaire

J’ai plaisir à vous partager quelques extraits de l’ouvrage du psychanalyste Moussa Nabati « Le fils et son père - un lien tissé par la mère » où l’auteur nous propose à travers l’analyse des trois mythes - Dédale & Icare, Oedipe et Laïos, Abraham et Isaac - ses observations sur les conséquence pour la construction identitaire du garçon de la clarté ou de la confusion des places respectives au sein du triangle Père-Mère-Enfant.


Il y a dans cet ouvrage riche un regard à la fois intra-psychique (développemental), gestaltiste (indissociabilité organisme-environnement dans le champ), mais également systémique (interactions entre les éléments du triangle) et même transgénérationnel (répétition d’une génération à l’autre d’un père n’ayant pas accédé à la maturité parce que sa place d’enfant lui avait déniée, prenant à son tour à son fils la place de l’enfant).


On pourrait dire que la relation père-fils est conditionnée par deux tiers, d'où l'expression de double triangulation que j'ai utilisée en titre : la mère de l'enfant d'un côté, le père qu'a eu l'homme qui devient père à son tour de l'autre.

Contrairement à son apparence duelle, il s’agit entre le père et le fils d’une relation triangulaire. La mère, en exerçant le rôle de mère vis-à-vis du garçon et d’amante vis-à-vis de l’homme les sauve de la violence et leur permet de se rapprocher, de se reconnaître et de s’aimer.

Ainsi, la possibilité pour un homme de devenir père, dépend de la répartition juste des places de chacun dans le triangle relationnel créé


La possibilité pour un homme d’occuper sainement et de façon adulte son propre espace psychologique, aussi bien celui de père auprès de son fils que de celui de partenaire et d’amant auprès de son épouse est tributaire de l’amour et de la reconnaissance de celle-ci.
Cela signifie en premier lieu que le père ne pourra aider son héritier à devenir un homme que s’il est lui-même respecté, porté par l’amour et la sexualité, dans le coeur de sa compagne, qui doit aussi être capable de jongler entre les statuts de mère et de maîtresse, sans en sacrifier aucune, sans en privilégier une par rapport à l’autre. Une mère trop mère en fusion avec son fils empêche ce dernier d’accéder au père, une femme trop femme focalisée sur son amant détourne celui-ci de sa fonction paternelle.
Tous les tourments (des père et des fils), découlent d’un désordre, d’erreurs de place, de l’existence de vides, de confusions, d’inversions, de substitutions et de cumuls, personne n’étant alors lui-même, chacun pris ou se prenant pour l’autre, c’est à dire radié dans sa fonction. Cet embrouillement des espaces constitue le reflet et la conséquence d’une injuste et abusive répartition du pouvoir : l’un des membres démissionne au profit d’un autre qui tente alors de monopoliser tous les droits.

Mais cette répartition saine des rôles et des places dans le triangle est en outre conditionnée par l’histoire personnelle du père


Pour devenir père, il faut avoir été enfant et fils auparavant. Lorsque cette étape décisive a été perturbée, affectée par une dépression infantile précoce, en raison d’une enfance difficile, autrement dit quand elle n’a pas été vécue, elle se transforme en fantôme persécuteur, empêchant l « adulte » d’être lui-même, le forçant à son insu, malgré son intelligence et sa volonté, à se comporter de façon immature. Cela se traduit par des attitudes outrancières, manquant de souplesse et de nuance, sans le thermostat régulateur de la pensée. L’homme se montre alors enfantin et dépendant ou, au contraire macho et despote vis à vis de son épouse, maltraitant ou mère-poule à l’égard de son enfant. Manquant de maturité, envahi et téléguidé par le petit garçon qui se trouve en lui, il a du mal à tenir sa place de père et de tiers, dans l’entre-deux de la mère et du fils, et à exercer son autorité en leur fixant des limites sécurisantes et des repères.

Moussa Nabati opère en outre un renversement de postulat intéressant. Contrairement aux affirmations de Freud, il considère que ce ne serait pas le fils qui prend l’initiative de tuer le père afin de s’approprier sa femme ardemment convoitée, mais bel et bien le père qui doit tuer ce qui reste en lui du petit garçon qu’il a été pour permettre à l’enfant qui est là d’occuper la place de l'enfant dans le triangle.


Les mythes d’Icare & Dédale, Oedipe & Laïos, Abraham et Isaac renvoient tous trois à la nécessité impérieuse pour le géniteur de sacrifier le petit garçon en lui, pour pouvoir offrir une place d’enfant à son fils. Sans ce sacrifice régénérateur, il ne peut accéder à la maturité de l’âge adulte. Il reste infantile, en rivalité avec sa progéniture et projetant sur son épouse une image de mère.

L'auteur élargit ainsi le rôle du père dans le triangle, de séparateur dans la relation mère-enfant, il doit également mettre en oeuvre une mobilité dans ses phases d’engagement et retrait pour être présent auprès de la mère et de l'enfant sans envahir ni l'un ni l'autre. Voilà qui fait singulièrement écho au cycle du contact de la gestalt-thérapie.


Une relation père-fils saine et épanouie se caractérise par la capacité du premier à occuper pleinement sa place de père, à exister physiquement mais surtout psychologiquement, en intervenant de façon adulte et engagée dans l’édification et la gestion du triangle auprès de la mère et de l’enfant, mais étant également capable de distance et de retrait, se retenant d’envahir tous les espaces, celui de la femme et celui de l’enfant. C’est bien sa capacité à se retirer, à s’éclipser, en sacrifiant ses côtés de petit garçon et de mère pour dégager des aires de vie et de désir à ceux-ci qui institue le père.
S’engager positivement dans la paternité n’est possible que si le père cède sa place d’enfant à son enfant auprès de la mère et renonce à se substituer à la mère auprès de l’enfant en ne jouant plus le rôle de « papa-poule » ou de mère parfaite.

Un autre point soulevé par Moussa Nabati retient également l’attention. C’est l’idée que l’enfant construit son identité propre à travers la différenciation des sexes et des générations dans ses séquences de contact avec les autres membres du triangle. La confusion des places a dès lors des conséquences dramatiques sur le développement psychique.


Selon mon hypothèse, du fait que le moteur du sujet est sa quête identitaire, ce qui construit le psychisme et préside à son orientation, aidant le sujet à devenir psychiquement autonome, épanoui dans son sexe et son âge, acteur de son destin, en amour et au travail, dépend de la place symbolique qui lui a été réservée dans le triangle, eu égard au vrai désir de ses parents : a-t-il été accueilli et aimé en tant qu’enfant pour ce qu’il était, dans la gratuité du désir ou a-t-il été pris pour un autre, placé là où il n’avait pas à se trouver, afin de remplacer un enfant disparu, rafistoler le couple bancal de ses parents ou pour prodiguer à ceux-ci, inversant les fonctions, l’amour et la reconnaissance dont ils avaient été privés dans leur enfance.

En effet, ce qui aide l’enfant à se construire une identité propre, distincte de celle de ses deux parents c’est que


L’adulte occupe clairement sa place en respectant les différences sexuelles et générationnelles afin d’éviter toute confusion, mais accepte sans réticence les aspiration enfantines à la proximité, qui sont paradoxalement la condition première de la différenciation en permettant l’ajustement de l’enfant.

Tout se passe en réalité comme si assez paradoxalement les êtres dont l'enfance n'a pas été vécue y sont retenus

Ces êtres souffrent alors de ne pas être eux-mêmes, intérieurement libres, du fait de ne pas avoir été aimés gratuitement dans leur place et fonction d’enfant. Dépossédés de leur enfance, devenue blanche, ils ont dû s’ériger précocément en adultes pour se poser en thérapeutes de leur parents, en gobant leur souffrances. C’est bien cette enfance avortée, non vécue, qui, muée en fantôme persécuteur, les empêchera de devenir un jour grands, pour penser et désirer en leur nom propre et en toute autonomie.

Phénomène d'autant plus triste qu'il se répète dès lors souvent de génération en génération ...


La possibilité pour le père d’édifier un triangle avec la participation de sa compagne et de son fils dépend des aléas de son passé personnel, c’est à dire de la place réelle et symbolique qu’il occupait naguère lui-même dans le triangle de sa famille ancienne.

Moussa Nabati conclut son ouvrage en définissant triangle sain / triangle perturbé


Un triangle sain, c’est celui où chacun des membres est reconnu en tant que sujet, dans son identité propre, compte tenu de sa place et de la fonction qui lui reviennent comme père, mère ou enfant dans le respect des différences sexuelles et générationnelles.
Un triangle perturbé se caractérise par l’absence de clarté et de visibilité. On ne sait plus qui est qui. La place, le pouvoir et les compétences de chacun paraissent ambigus, équivoques, comportant des défauts graves, abandons de poste, inversion ou cumul des statuts et des rôles.
Une enfance saine n’est donc pas une enfance exempte de traumatismes, au fond inéluctables, mais celle qui a été le moins possible la proie au désordre, à la confusion des âges, des sexes et des places.

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